Bertolt Brecht n’a cessé entre 1938 et 1955 de reprendre et de retoucher sa pièce La Vie de Galilée, modifiant les significations de cette fable en même temps que se modifiait son rapport à la science (il y a un avant et un après Hiroshima) et son rapport au politique (il y a un avant et un après la R.D.A.). Jean-François Sivadier, en choisissant l’ultime version, a voulu aussi faire entendre un théâtre en train de se faire dans l’immédiat des mots. Le plateau est non seulement le lieu d’expérimentation scientifique de Galilée mais aussi celui de l’expérimentation théâtrale de Brecht, et la lunette astronomique qui atteint l’univers des planètes peut aussi servir à atteindre le théâtre pour élargir la vie des spectateurs. La scène devient, à la manière du laboratoire, le lieu privilégié pour poser les hypothèses et faire bouger les certitudes les plus établies. Interrogation sur la science, interrogation sur la place de l’homme dans le monde scientifique et raisonnable, interrogation sur la responsabilité du savant dans le devenir de l’humanité… mais surtout interrogation de Brecht sur lui-même et sur son rôle d’intellectuel dans un système où dire le vrai peut être, comme pour Galilée, une prise de risque fatale. Faut-il mentir pour protéger la vérité face à ses ennemis, dissimuler, se taire, se courber pour mieux se faire entendre quand les temps seront plus cléments ? C’est tout cela que met en jeu Jean-François Sivadier qui sait aussi que Brecht, en questionnant la science et ses rapports au monde, questionne le théâtre comme forme de représentation. Dans un décor d’estrades et de trappes, c’est un tourbillon burlesque et dramatique que nous offrent les acteurs, au rythme d’une pensée qui se développe en temps réel, une pensée qui se construit et parfois se détruit au rythme des hypothèses et des expériences, mais qui toujours s’adresse au spectateur qui est invité à partager ce mouvement réflexif. Et si Blaise Pascal, parlant de l’univers post-galiléen, affirme : “Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie” ne devrait-on pas répondre que proposé par Jean-François Sivadier, au plus près de Bertolt Brecht, il fascine et séduit encore plus qu’il n’effraie.

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